‘The Importance of Being Earnest’

C’est véritablement un mariage qui fut à l’origine de cette triste histoire. Une jeune femme, fille de parlementaire aussi respecté que respectable épousa un homme qui convenait plus aux besoins de conversation de son père qu’aux siens. Harry Grey, car c’était son nom, avait une certaine fortune qui lui permettait de vivre dans une aisance remarquable et il fallait bien avouer qu’il était bien plus débrouillard que la majorité des jeunes londoniens quand il s’agissait d’obtenir ce qu’il voulait. Et en l’occurrence, c’était Miss Constance qu’il désirait à cet instant. Après quelques mois de politesses échangées timidement, de présents glissés en secret sous un panier à ouvrage, de sourires discrets au détour d’un couloir et de regards complices lors des dîners mondains, et le cœur de Miss Constance se trouva en possession de notre Harry Grey. Après une demande plus formelle –qui avait été convenue, j’en ai peur, des mois plus tôt entre le père de Constance et Grey lui-même- on célébra le mariage qui devait unir Harry et Constance, jusqu’à ce que la mort les sépare. La mort, ou l’amour. Car dans un premier temps, les rapports entre les jeunes époux étaient tout à fait courtois, polis, mais aucun véritable sentiment amoureux n’existait au sein du jeune couple.

A l’occasion de leur voyage de noces, Harry Grey voulut une fois encore impressionner la famille de son épouse en emmenant cette dernière en Asie, en Chine plus précisément, où il en profiterait également pour gérer quelques affaires tandis que Constance découvrirait les beaux paysages qui l’entoureraient. Et même si la mère de la jeune femme craignait pour la vie et la santé de sa fille (‘Allons, ce n’est point raisonnable, une enfant si délicate. Et toute cette chaleur !’), pestant parfois seule dans sa langue maternelle, le français, elle dût se résoudre à abonder dans le sens de son gendre et à respecter la décision de son époux, si britannique.

Cependant, la mère de Constance n’aurait pu deviner qu’à défaut de maladie, sa fille découvrirait ce qu’est le véritable amour, par opposition aux seules politesses courtoises qui existaient entre elle et son époux. L’ironie lecteur, c’est que l’homme pour qui bat le cœur de Mrs Grey est en réalité un ami de Grey lui-même ! Ernest Debussy, médecin français et artiste à ses heures perdues, fut d’ailleurs ravi de retrouver son camarade de jeunesse pour discuter à nouveau en anglais, échanger quelques plaisanteries, parler d’art, ravi en effet, jusqu’à ce qu’il apprit que la jeune femme qui se tenait légèrement en retrait derrière Grey était son épouse, Constance, d’origine française elle aussi, par sa mère. Et sans que Grey n’en sache rien, Constance et Ernest s’aimèrent, platoniquement et ce, malgré leurs deux prénoms qui les prédestinaient à une vie tranquille, rangée, constante dans son déroulement.

Et tandis qu’Harry Grey réglait les affaires qu’il avait en Chine, son ami Ernest faisait gentiment visiter le pays à Constance. Jamais ils ne se touchèrent, seules leurs mains se frôlaient par moment. Pas de déclaration, aucun sentiment avoué jusqu’au jour du départ du couple Grey pour l’Angleterre. Avant de s’embarquer sur le bateau, Constance demanda à Ernest de rentrer avec eux à Londres, ce qu’il refusa. Mrs Grey lui glissa alors discrètement dans la poche un mouchoir avec son parfum et quand Debussy le trouva, il sut qu’il ne pourrait résister bien longtemps et se décida à quitter la Chine pour retrouver Constance. L’ennui, c’est qu’il se sent coupable d’aimer –même de façon platonique- la femme de son ami, et il n’est pas le seul. De retour à Londres, Constance n’a rien avoué mais se montre plus distante, ce qui éveille les soupçons d’Harry. Et s'il s'était passé quelque chose en Chine ?


Notez chers lecteurs que le titre de ce scénario est aussi le titre d'une pièce de Oscar Wilde. Cependant, la ressemblance s'arrête au jeu de mot sur le prénom 'Earnest' signifiant 'constant'. L'œuvre de Wilde présente une trame et des personnages totalement différents par rapport à ceux présents dans ce scénario.

33 ans

Particulièrement sévère avec la société londonienne, Harry Grey ne passe généralement rien à personne, sauf peut-être à ses amis les plus proches et à sa chère et tendre épouse avec qui il se montre très agréable, ce qui ne manque pas d’étonner ses partenaires financiers. Il semble d’ailleurs que la vie de Grey soit partagée entre sa femme, sa fortune et quelques affaires louches, comme diraient certains jaloux. Car en effet, Londres est aux pieds de Grey depuis peu. Ses spéculations ont porté leurs fruits et les échanges avec l’Asie n’ont jamais été si florissants. Et quelle excellente occasion pour retrouver son ami, Ernest Debussy, n’est-ce pas ? Au cours d’un voyage avec Constance, Harry a ainsi eu la chance de revoir son cher camarade français avec qui il échangeait parfois quelques lettres durant ces dernières années. La vie semble désormais sourire à Grey, ne trouvez-vous pas lecteur ? Sauf que ce dernier est à mille lieues de se douter de ce qui se trame entre son épouse et son meilleur ami. D’ailleurs, la distance que Constance a récemment prise avec lui l’intrigue, si bien qu’il la croit enceinte…

28 ans

Douce et romantique, Constance a obéi à son père en épousant Harry Grey car même si elle le trouvait charmant, elle n’éprouvait pas d’amour pour lui. Néanmoins, elle s’est habituée à sa présence et surtout à la stabilité et à la protection qu’il lui apporte dans leur mariage. Ne manquant de rien et étant bien traitée, elle s’était résolue à faire honneur à sa famille en devenant une parfaite petite épouse victorienne. Une bonne résolution, certes, mais qui devient de plus en plus difficile à appliquer depuis son retour de Chine où elle a rencontrée Ernest Debussy, un ami de son mari mais également le seul homme pour qui bat son cœur. Néanmoins, Constance refuse de trahir son époux et ce, même si son propre bonheur en dépend. Il faut dire aussi que la jeune femme est très pieuse et que l’éducation donnée par son père la préparait à obéir sans discuter en toute circonstance. Et malgré quelques traits fantaisistes dans son caractère, sans doute légués par sa mère française, Constance est bel et bien en train de s’emmurer vivante. A moins que sa rencontre avec Ernest n’ait bouleversé toute son existence, ne croyez-vous pas lecteur ?

30 ans

Médecin de profession mais artiste à ses heures, Ernest possède une personnalité à la fois calme et logique mais aussi emportée et fantaisiste. Partagé entre les sciences et les arts, il change très souvent d’avis, et tente à grand peine de concilier ses deux domaines de prédilection, mais sans succès évident. On lui reproche même de vouloir comprendre l’art d’un point de vue médical, ce qui en société, lui vaut d’être qualifié d’original. En revanche, personne ne remettrait en cause les connaissances en médecine de Debussy, même si sa volonté de partir exercer en Chine en a surpris plus d’un en France. Mais, vous avouerez lecteur, que s’il ne l’avait pas fait, il n’aurait peut-être jamais croisé les Grey et ne serait pas non plus tombé amoureux de Constance. D’ailleurs, si Debussy s’estime heureux à chaque fois qu’il est en présence de cette dernière, il ne se sent pas moins coupable vis-à-vis de son ami. Lorsque le couple quitte la Chine, Ernest ne mettra malgré tout pas longtemps à les suivre en Angleterre. Il filerait bien le parfait amour avec Mrs. Grey, si seulement celle-ci devenait veuve…